le finistère intérieur

Ami lecteur, anonyme, visiteur à l'improviste, ce soir j'ai envie de partager avec toi ce texte de Philippe Mac Léod  qui accompagne mes pas depuis septembre 2005. Même si la prière t'est étrangère, je te souhaite d'avoir déjà exploré ton finistère intérieur, ou d'être sur le chemin pour le trouver bientôt.

Lorqu'on prie, à genoux ou debout, les yeux fermés, le front appuyé contre l'invisible, on se tient inévitablement devant un autre monde, que nul ne voit, que nous-mêmes ne percevons que confusément, comme une présence éclose de notre propre intériorité.
Prier, c'est renouer avec une origine, c'est réparer l'écart que nous creusons entre elle et l'expression de nos vies. C'est retrouver un lieu ou l'être résonne avec clarté, où le poids du monde apparaît même différent, plus intime, lié au sentiment de notre propre chair.
Prier, c'est marcher, marcher longtemps, loin, jusqu'au bout de soi, comme aux limites de la terre; et là, crier notre impuissance, crier encore plus fort notre désir d'une autre vie; et attendre qu'une main vienne pour continuer le chemin vers les eaux.
Prier, c'est se cramponner à la proue du navire, les genous sur la planche dure, les mains jointes comme une étrave pour fendre les flots, et recevoir, de plein fouet, la vague qui vient se briser contre la coque, le vent violent, celui du large, de l'autre coté de l'horizon.
Prier, c'est avancer dans le noir, à tâtons, en suivant la petite lueur d'une étoile intérieure, le murmure d'une voix qui nous attend un peu plus loin. Ce n'est pas l'épaisseur de la nuit qui m'empêtre et me retient, mais la peur que je n'ai pas su laisser derrière moi, avec les évidences faciles du grand jour.
Prier, c'est m'ouvrir en dedans, m'éployer au soleil radieux d'un présent que je croyais plus étroit que le passé ou l'avenir, mais qui se révèle infini pourvu que j'y adhère. C'est bien moi qui le limitais, par mes propres fermetures. Et m'ouvrir, c'est y entrer, sans même bouger, en prenant conscience que le contact dépend d'une attention oublieuse de soi.
Prier, c'est vivre en Dieu, tout en marchant, tout en parlant. Respirer en Dieu comme dans un milieu qui ne nous est pas naturel, mais qu'il nous appartient de faire advenir : le règne de la lumière sur nos vies. Faire remonter jusqu'à nous, jusqu'au bord de nos gestes, de nos rivages, le murmure de la mer première, la mer d'éternité, comme celle que porte le Christ dans la vision de l'Apocalypse.
Prier, c'est atteindre mon finistère intérieur, une pointe ultime où, parvenu au bout de moi-même, je ne puis que rencontrer Dieu, et découvrir qu'il est en moi, et moi en lui, dans une sorte de totalité vivante, toute spirituelle, au-delà de notre matérialisme habituel.
Toute prière est comme un premier envol.
Toute prière est un fil suspendu sur l'abîme.
Il suffit d'y oser un premier pas pour que le contact s'élargisse aux dimensions du monde, à la démesure des cieux, comme si toute leur transparence se déversait dans notre coeur abouché, comme si tout l'esprit dispersé se cristallisait sur nos lèvres muettes. Nous sommes soudain reliés. L'abîme qui d'abord nous effrayait maintenant nous soulève.
Il n'est que de renoncer à nos évidences, mais avec vérité, pour que s'ouvrent des espaces nouveaux, qui n'effacent pas les paysages anciens, mais leur rendent leur âme, leur respiration.
Prier, c'est accepter cette séparation pour renaître de plus loin, en se dilatant, car il ne sert à rien d'ouvrir les bras, de deserrer les mains et les lèvres si, à l'intérieur, l'on demeure tout recroquevillé, dur, obscur.
Prier, c'est ne pas se cacher ; prier, c'est nous dénouer, laisser le souffle d'infini nous traverser, nous grandir.
C'est nous faire une âme ample, mobile, élastique, légère et transparente.